La grotte Mamé à Petit-Trou-de-Nippes, par Moreau de Saint Méry

Topographie HD de la grotte Mamé (260ko)

Description de la grotte Mamé, 1796

« Il y a des cavernes à plusieurs issues dans les mornes de la baie des Baradères. Mais la plus remarquable de la paroisse, est celle dont je vais présenter la description à mon Lecteur, telle que l’a faite à ma prière mon ami et mon parent M. de Renoult, qui habite dans son voisinage et avec lequel il ne me fut possible de l’aller visiter.

Cette grotte, plus curieuse par le nombre et la disposition singulière de ses appartements que par ses objets d’histoire naturelle, se trouve à la sortie d’un marécage qui borde la sucrerie Loménie de Marmé dans sa partie Orientale. La voûte qui en fait l’ouverture et qui est à environ 30 pas du marais, à la chute d’une montagne, est si basse, qu’il faut d’abord marcher à quatre pattes l’espace de 8 ou 10 pieds entre deux rochers qui ne laissent de passage que pour une personne. Arrivé à cette distance, ce rocher s’élève tout à coup à la hauteur de 12 pieds sur 4 et 6 de large, et forme alors un petit dôme orné de pétrifications.

Arrivée dans la salle principale
Carole Devillers

Ce premier appartement conduit, dans la direction de l’Ouest, à une voûte assez considérable qui se prolonge à la distance de 20 pieds. Au milieu de l’espace, est un rocher assez vaste, formant une table et qui semble être tombé anciennement du haut de la grotte. Plusieurs cabinets environnent ce lieu. L’un d’eux : est curieux par l’arrangement symétrique des stalactites qu’on y voit.

Stalactites dans la grotte Mamé
"Des franges, des grappes tombent avec grâce du pourtour de la voûte" Moreau de Saint Méry
Jean-François Fabriol

Des franges, des grappes tombent avec grâce du pourtour de la voûte, tel est l’espèce d’art qui semble régner dans ce lieu, qu’on croirait que quelque Nymphe vient s’y livrer à ses douces rêveries, si une ombre obscure ne régnait autour de cet asile mystérieux. En le quittant pour aller vers les noires cavités qui l’entourent, on se croit environné des ombres des malheureux Indiens qui fuyaient, au milieu de ces antres, les persécutions de leurs tyrans.

Nous suivîmes une longue voûte de forme irrégulière, et tournant un peu dans l’Ouest, nous arrivâmes à une salle que nous avons trouvée de 60 pieds de long sur 36 de large, et 20 dans sa plus grande élévation. Elle est éclairée par deux ouvertures placées à 20 pieds dans le haut du rocher. De ces deux ouvertures descendent deux lianes très-fortes qui ont su trouver de l’aliment en s’attachant au sol de la grotte.
Près d’elles végètent quelques plantes, qui, à la pâleur de leurs feuilles montrent que le soleil ne leur prête jamais sa bénigne influence. Mais cette salle est infecte à cause des crabes putréfiés qu’on y trouve et qu’y portent sans doute les oiseaux nocturnes, qui s’en nourrissent. Elle a, au Sud, un joli cabinet.

Continuant à aller dans le Sud, on parcourt une galerie de 60 pieds de long sur 15 de large, et de 5 à 7 pieds d’élévation, que termine une grotte peu élevée. Un peu dans l’Ouest, est une grotte assez semblable à la précédente. Elle même à un défilé de 4 pieds de large, obscur et profond, qui conduit à un autre très-noir, d’où l’on entend un peu au loin le bruit d’une chute d’eau.

Nous découvrîmes un petit sentier escarpé et glissant, qui occupe le milieu de ces cavités, et en tournant sur notre droite, nous reconnûmes que l’eau dont nous venions d’entendre le bruit, se réunit dans un vaste bassin qui termine la grotte de ce côté. Nous le sondâmes avec une pierre saisie par une corde, et nous trouvâmes 20 pieds de profondeur. Nous nommâmes ce bassin le Bassin des Sorciers, quoique nous n’en ayons point vu

Le Bassin des Sorciers
"Nous nommâmes ce bassin le Bassin des Sorciers, quoique nous n’en ayons point vu" Moreau de Saint Mery
Jean-François Fabriol

, mais seulement des légions de chauve-souris, qui de temps en temps dérangeaient nos observations.

Chauve-souris Artibée
"...mais seulement des légions de chauve-souris, qui de temps en temps dérangeaient nos observations" Moreau de Saint Méry
Jean-François Fabriol

En retournant sur nos pas, un petit mulâtre laissa tomber la canne de son maître dans l’une des cavités. Voulant savoir s’il serait possible d’aller la reprendre, nous le descendîmes en lui passant la corde sous les bras, et à notre grande surprise, il trouva le fond à 7 ou 8 pieds et rapporta la canne. Il prit un de nos fanaux, redescendit et suivit sous terre un petit chemin qui le mena au bassin, dont il goûta l’eau, qu’il trouva bonne à boire. Il chercha si ce souterrain ne conduisait point à d’autres, et n’en trouva point.

Revenus à la Salle puante, nous allâmes dans une grotte au Nord.
Le jour qui y pénètre par une légère ouverture du haut de la voute, ne fait apercevoir que des crevasses effrayantes, que des amas de rochers nouvellement écroulés. Le bruit souterrain que l’on produit en marchant, avertit le curieux de hâter sa marche, c’est ce que nous fîmes en profitant d’une issue basse et profonde qui se présenta devant nous. Nous parvînmes, en rampant, à une caverne dont le comble suit la pente de la montagne. Nous fûmes surpris, en y entrant d’apercevoir le jour qui semble sortir du fond du souterrain par une ouverture ronde, ce qui nous porta à appeler ce lieu l’Œil de Polyphème.

L’oeil de Polyphème
"Nous fûmes surpris d’apercevoir le jour qui semble sortir du fond du souterrain par une ouverture ronde, ce qui nous porta à appeler ce lieu l’Œil de Polyphème" Moreau de Saint Méry
Testa-Fabriol

Cette dernière pièce ne nous offrit rien d’intéressant, si ce n’est une grosse araignée attachée au plafond, et qui nous parut d’une espèce inconnue. Nous essayâmes de la faire entrer dans un cornet de papier ; mais la personne qui la poussait du bout de sa canne ayant frappé un peu trop fort, l’araignée sauta sur la main de celui qui dirigeait le cornet et qui n’eût rien de plus pressé que de se débarrasser de l’un et de l’autre.
Nous sortîmes de ces labyrinthes obscurs par le trou particulier de cette caverne, et nous revîmes avec joie la lumière, dont nous étions privés depuis trois heures.
C’est au canton des Baradères que réside M. de Pagès, capitaine des vaisseaux du roi, correspondant de l’Académie des Sciences de Paris, auteur de Voyages autour du Monde et vers les deux Pôles, publiés en 1782. »

Extrait du livre de Moreau de Saint-Mery, « Description topographique, physique, civile, politique, et historique de la partie Française de l’Ile Saint-Domingue, avec des observations générales sur sa population, sur le caractère et les mœurs de ses divers habitants ; sur son climat, sa culture, ses productions, son administration, etc. etc. Accompagnées des détails les plus propres à faire connaître l’état de cette colonie à l’époque du 18 octobre 1789 ; et d’une nouvelle Carte de la totalité de l’Ile, tome second » 1798, Philadelphie, pp 603-606
lien vers le livre complet sur Gallica.fr

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